lundi 1 décembre 2008

"Les GI's ne quitteront l'Irak que forcés, comme les Anglais en 1958" - Gilles Munier



Le Courrier d'Algérie - 30/11/08 - page 13
http://www.lecourrier-dalgerie.com/novembre/n1439.pdf

GILLES MUNIER, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL
DES AMITIÉS FRANCO-IRAKIENNES AU COURRIER D’ALGÉRIE :
«Les GI's ne quitteront l'Irak que forcés, comme les Anglais en 1958»

Gilles Munier a découvert l'Irak en 1975-76, et il s'est rendu dans ce pays à 150 reprises environ avec des délégations politiques, culturelles ou économiques. Il a été reçu à 5 reprises par le Président Saddam Hussein. Le secrétaire général des Amitiés franco-irakiennes explique l'intérêt qu'il porte à l'Irak, au nationalisme arabe et à l'islam par son histoire personnelle. Il a vécu toute sa jeunesse en Algérie et au Maroc, au contact des nationalistes algériens du FLN, son père étant très engagé dans le combat pour l'indépendance de l'Algérie.


Pendant la crise du Golfe, en septembre 1990, il se rend à Bagdad en pleine affaire dite «des otages», pour demander au Président Saddam Hussein de laisser partir les Français qui sont retenus. La mission qu'il effectue se place juste après celle de Kurt Waldheim et d'Ahmed Ben Bella. Il revient en France avec 8 Français et la promesse que les autres les suivront. Il est accueilli en France par une violente campagne de presse qui l'accuse d'être un « traître par idéologie ».


Pour relancer les relations franco- irakiennes, mises à mal par la guerre et la rupture des relations diplomatiques, il organise en octobre 1991 la première mission économique française à Bagdad sous couvert d'un Comité Franco-Irakien pour l'Exportation créé pour l'occasion. Gilles Munier contribuera à l'ouverture d'une Mission d'intérêts français à Bagdad en transmettant un message secret de Tarek Aziz au Quai d'Orsay.


Gilles Munier qui a pu, en 25 ans de voyages visiter toutes les régions d'Irak, est l'auteur du « Guide de l'Irak» paru en 2000.

Le Courrier d'Algérie : Quelle appréciation faites-vous de cet accord de sécurité qui vient d'être ratifié par les députés irakiens ? Quels seraient ses buts ?


Gilles Munier : L'accord de sécurité est de la poudre aux yeux. Il permet à George Bush de quitter la présidence des Etats- Unis en disant une nouvelle fois «Mission accomplie » et au régime de Bagdad de se donner un vernis nationaliste. Le tapage médiatique fait autour de cet accord ne doit pas faire oublier que les députés se sont couchés lorsqu'il a été question de la mainmise américaine sur le pétrole irakien.


Il y a en Irak environ 160 000 soldats et autant de mercenaires. En ces temps de faillite économique du capitalisme, la présence des troupes américaines devient trop lourde pour le budget militaire US. Mais, ils ne partiront pas tous. La question du maintien de bases militaires n'est pas sérieusement abordée. Les Américains en veulent plusieurs et les maintiendront tant qu'ils le pourront sous différents prétextes.


Qui peut croire un seul instant que la guerre est finie, ou presque ? La résistance irakienne lance des attaques tous les jours et elle le fera jusqu'au départ réel des forces d'occupation. En vérité, les GI's ne quitteront l'Irak que contraints et forcés, comme les Anglais après le renversement de la monarchie en 1958.


Que gagnent les politiques irakiens en le ratifiant et en prolongeant la présence américaine dans leur pays ?


Les dirigeants irakiens jouent, à court ou moyen terme, leur survie politique. Ils savent que la majorité des Irakiens réclame le départ des Américains et que sans le soutien de ces derniers ils perdraient le pouvoir.


Paradoxalement ce sont les chiites du mouvement de Moqtada Sadr qui ont rejeté l'accord. Seraient-ils plus nationalistes que les autres ou expriment- ils les craintes de Téhéran ?


La résistance irakienne, dans son ensemble, rejette cet accord. Quant au chiisme arabe irakien, il faut savoir qu'il est différent du chiisme persan, déformé à l'époque safawide. Moqtada Sadr est un patriote qui, dans la conjoncture actuelle, n'a pas d'autre choix que de faire un bout de chemin avec Téhéran. Les services secrets iraniens jouent plusieurs jeux en Irak, y compris en manipulant des groupuscules proches d'Al Qaïda. Ils aident l'Armée du Mahdi jusqu'à un certain point - celui de leurs intérêts immédiats - mais leur préférence va vers la Brigade Al Badr d'Abdulaziz al-Hakim. Un jour sonnera l'heure de vérité et les masques tomberont.

L'ONU a accordé aux Etats-Unis un délai de présence qui aurait dû expirer à la fin de l'année. Cette organisation a-t-elle été encore une fois ignorée et bafouée ?


L'ONU aurait dû être réformée depuis la fin du colonialisme. Elle a été ignorée et bafouée dès qu'il a été question d'agresser l'Irak. Le Conseil de sécurité est une machine de guerre occidentale. Lorsque le délai fixé par l'ONU a été voté, les Américains pensaient qu'ils allaient éliminer facilement la résistance irakienne. Ils doivent revoir leur copie en catastrophe.


Les députés ont été élus par le peuple irakien, cette ratification peut-elle être considérée comme la volonté du peuple irakien ?


Les élections de janvier 2004 étaient une mascarade. Les députés élus n'ont aucune légitimité.


Certains d'entre-eux ont réclamé un referendum, tant mieux. Mais, s'ils avaient été courageux ils auraient plutôt réclamé le départ immédiat des occupants.

Entretien réalisé par Meriem Abdou

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